Joe Hisaishi en concert © DR
Crâne
rasé, regard pétillant et sourire en coin, le musicien japonais Joe Hisaishi,
né en 1950, dissimule sous l’apparence du dandysme élégant son statut de
citoyen du monde. De cet artiste cultivé et affable, on connaît surtout les
bandes originales qu’il a composées pour deux personnalités emblématiques du
cinéma nippon que tout semble séparer, sinon le talent : Takeshi Kitano et
Hayao Miyazaki. Il refuse toutefois d’entériner les connexions hâtives ou les
clivages réducteurs qu’on serait tenté d’établir en écoutant la musique de Mon voisin Totoro (1988), L’été de Kikujiro (1999), Princesse Mononoke (1997), Le voyage de Chihiro (2001), Le vent se lève (2013) voire celle du Soleil se lève aussi de Jiang Wen (2007), Sunny et l’éléphant de Frédéric Lepage (2008), Le conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata ou La maison au toit rouge de Yôji Yamada (2014).
« Miyazaki est le seul réalisateur
d’animation avec lequel je travaille. Il se trouve que c’est d’abord un
cinéaste de classe internationale dont l’approche n’est pas fondamentalement
différente de celle des autres metteurs en scène avec lesquels je collabore, à
commencer par Takeshi Kitano. La principale différence réside dans le fait que
dans un film avec des acteurs, les scènes durent plus longtemps et l’essentiel
des émotions passe par les expressions du visage. En animation, les séquences
sont généralement moitié moins longues et n’excèdent jamais une minute à une
minute et demie. L’approche est identique mais c’est le rythme qui est profondément différent. »
Miyazaki
« Mon travail avec Miyazaki commence
très en amont de la préparation. Il prépare un album d’images qui ressemble à un
story-board simplifié et qui comprend les personnages et une dizaine de mots
clés sur lesquels il écrit lui-même des textes de chansons dont je compose la
musique. Cet album est ensuite commercialisé et ce n’est qu’alors que Miyazaki
réalise son film. Par exemple, sur les dix chansons de Mon voisin Totoro, on n’en entend plus que trois à l’écran. Par
la suite, au moment de la sortie, un second album est édité qui reprend la
musique et les chansons entendues à l’écran. La vraie raison d’être de ces deux
disques, c’est que Miyazaki a besoin de ma musique pour réaliser son film. Le
fait de le commercialiser est en outre un bon moyen de stimuler le désir des
gens par rapport à ce long métrage dont la réalisation peut prendre plusieurs
années. Il est toutefois clair que pour l’album d’images, mon imagination n’est
pas limitée par le film et que je me sens donc beaucoup plus libre. Un film
d’animation ne peut toutefois pas comporter plus de trois thèmes musicaux. Il
est donc bénéfique que le réalisateur puisse les choisir. »
Kitano
« Avec Kitano, comme il travaille à
partir d’un scénario qui n’est jamais très détaillé et qu’il change beaucoup en
cours de tournage, je me prépare mais je ne commence vraiment à travailler que
quand il me montre quelque chose. Pour L’été
de Kikujiro, un Road Movie qui joue sur toute une gamme d’émotions, le
comique alternait avec le tragique et Kitano souhaitait une musique simple,
douce et apaisante qui tranche avec celle de ses films précédents. C’est pour
cela que j’ai décidé de m’en tenir à un seul thème musical, comme l’avait déjà
fait Ennio Morricone pour Cinéma Paradiso.
Ici il s’agit de l’amitié qui se développe entre l’enfant et Kikujiro. »
Influences
« J’ai moins de références
cinématographiques proprement dites que de coups de cœur pour le travail de
certains compositeurs sur des films précis. J’aime tout particulièrement Nino
Rota parce qu’il composait toujours des musiques de circonstance, que ce soit
pour les films de Federico Fellini ou pour Plein soleil
de René Clément. Comme tous les Japonais de ma génération, j’ai été bercé par
la musique européenne et notamment par les ballades irlandaises. En outre, dès
que j’ai commencé à enregistrer des albums solo, j’ai eu l’occasion d’aller à
l’étranger, que ce soit à Londres, à Paris, à New York ou à Los Angeles. J’ai
également joué avec l’orchestre philharmonique de Prague, enregistré en Italie
et travaillé avec des musiciens de tous les pays. Donc il est vrai qu’en dehors
de la composition pour les films, dans la mesure où je fais de la musique instrumentale
et pas du chant, je ne suis pas limité par la langue. J’ai travaillé sur deux
projets hollywoodiens qui ont été annulés dont une sorte de suite de French Connection qui tournait autour de
la Mafia russe. J’ai par ailleurs actuellement un projet avec un jeune cinéaste
français [“Le petit poucet” d’Olivier Dahan] et cette perspective me réjouit énormément. »
Propos
recueillis par
Jean-Philippe
Guerand
en
décembre 1998
Bande annonce du Vent se lève d’Hayao Miyazaki (2013)
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