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Alejandro González Iñárritu : La déraison du plus fou

Alejandro González Iñárritu © Twentieth Century Fox

Né en 1963, Alejandro González Iñárritu appartient à la nouvelle vague du cinéma mexicain dont sont également issues des personnalités telles que Carlos Reygadas, Alfonso Cuaron, Michel Franco, Amat Escalante et Guillermo del Toro. Amateur d’entrelacs narratifs et d’histoires chorales, il a collaboré avec le scénariste Guillermo Arriaga sur ses trois premiers films : Amours chiennes (2000), 21 grammes (2003) et Babel (2006), qui a obtenu le Prix de la mise en scène et le Prix œcuménique à Cannes. Il a signé par la suite Biutiful (2010) et Birdman (2014), qui lui a valu trois Oscars à titre personnel. Cet entretien a été réalisé avant même la présentation de Babel sur la Croisette.


Dans quelles circonstances Babel a-t-il été tourné ?
Dans des conditions de liberté et d’indépendance. Je commence toujours les films personnels en les auto-finançant. Je prends le temps nécessaire pour développer le scénario, entreprendre des recherchesI, procéder au casting, aux repérages et une fois que tout cela a été décidé et résolu de concert avec mon producteur et partenaire, nous établissons le budget et nous nous lançons à la recherche de partenaires prêts à nous suivre où à acquérir les droits de distribution du film. Cet esprit d’indépendance et de respect mutuel est le même tout au long du processus. J’ai eu la chance de travailler avec des partenaires de grande qualité sur tous mes projets depuis Amours chiennes, des gens qui me soutiennent depuis toujours et qui restent en même temps très respectueux de ma façon de travailler.

Quelle est la difficulté principale que vous ayez rencontrée au cours de cette production ?
Le plus grand défi consistait à diriger des acteurs, des non-acteurs, des sourds, des non voyants et des gens qui n’avaient jamais vu de caméra auparavant qui s’expriment dans des langues étranges et difficiles, dans trois pays de cultures différentes, en tournant des séquences fragmentées parfois à des mois de distance. Mais réussir cette alchimie a été une si belle leçon d’humilité et d’humanité que je n’aurais rien changé… même si c’était à refaire.

Quelle conception vous faites vous de votre métier de cinéaste ?
Je trouve qu’être réalisateur de film est en quelque sorte une excroissance de vous-même, du coup je suis persuadé que mon état d’esprit quand je travaille est un tout petit peu obsessionnel, névrotique et parfois stupide J … un petit peu comme moi, en somme !!

Quel est le stade de la production qui intéresse le plus ?
Je pense que toutes les étapes de la réalisation possèdent leurs côtés Docteur Jekyll et Mister Hyde. Ils peuvent paraître merveilleux pendant l’espace d’une minute ou deux, puis virer au cauchemar la semaine suivante, mais cette minute ou deux n’a pas de prix. Il me semble qu’ils constituent tous des variantes différentes de la même drogue… forte mais dangereuse.

Que pensez-vous des bonus qui figurent sur les DVD ?
Je n’en ai pas inclus dans le DVD de 21 grammes car je traversais alors une profonde dépression. Il m’arrive de penser que montrer trop d’à côté du tournage peut finir par gâcher le plaisir du public… un peu comme si un magicien nous expliquait le secret de ses tours aussitôt après son numéro.  Mais, à vrai dire, je ne sais pas. J’adore personnellement regarder certains bonus, quand ils sont de qualité ou au moins quand ils révèlent quelque chose de nouveau que je n’avais jamais vu ou jamais réalisé à propos du film. Pour Babel, nous avons réalisé un documentaire qui, au-delà du film proprement dit, s’attache aux gens qui vivent dans les lieux où nous avons tourné, ce qui se révèle parfois plus intéressant que le film lui-même.

Quels sont vos projets ?
Une fois qu’un projet est dévoilé, il perd de sa force. Il n’y a que quand il est transformé en images qu’il devient vraiment intéressant. C’est pourquoi je préfère ne pas répondre à cette question.

Bande annonce d’Amours chiennes (2000)

Que représente pour vous le festival de Cannes ?
Le premier festival où je sois allé dans ma vie est Cannes. Cela a permis à mon premier film, Amours chiennes, d’obtenir un impact international en l’espace de deux jours. Je crois que Cannes peut constituer une bonne plateforme pour les films d’auteur… ou peut s’avérer une expérience catastrophique… Tout dépend du film…

Qu’attendez-vous de votre présence en compétition ?
Concernant la présence en sélection officielle de Babel, je la considère comme un honneur et elle arrive à un moment très particulier dans ma vie. Des espérances modestes, une grande sérénité, voilà où j’en suis. J’ai simplement envie de passer un bon moment en compagnie des gens qui ont rendu ce film possible et de le montrer pour la première fois à un bon public venu du monde entier.

Quel autre métier auriez-vous pu pratiquer si vous n’aviez pas travaillé dans le cinéma ?
C’est une question très difficile… car j’aurais sans doute été un homme très en colère et très frustré à louer…
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en mai 2006


Bande annonce de Babel (2006)

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